La perforatrice
J’ai une perforatrice qui ne va pas bien. Pardon, en bon français, on dira qu’elle ne fonctionne pas bien. Mais, moi j’ai envie de dire qu’elle ne va pas bien car elle me ressemble. Comment un être humain peut-il se comparer à une perforatrice ?
Ma perforatrice ne perfore pas très bien les feuilles. Parfois, elle les accroche et d’autres fois, elle glisse dessus et les perfore donc au mauvais endroit. Elle est cassée mais on peut l’utiliser car elle fonctionne, de manière générale. Seulement, elle ne va pas bien. Il y a des jours avec et des jours sans. Car, à certains moments, elle va perforer comme une machine de compétition, sans s’arrêter et en faisant des trous parfaitement ronds et symétriques. Et d’autres jours, elle ne voudra rien entendre, rien faire correctement. Il faudra juste la laisser de côté et ne plus l’utiliser.
Mais si on prend l’habitude de la laisser sur le côté trop longtemps, elle va finir enfermée dans un tiroir, un meuble ou au fond d’une armoire. La pauvre, elle sera oubliée, finira pas rouiller et n’ira plus du tout car elle ne fonctionnera définitivement plus. Que fait-on d’une machine cassée ? On ne la garde pas et on finit par la jeter et c’est ce qui va lui arriver, pauvre petit être !
Je me compare à ma perforatrice car moi aussi j’ai de nombreux jours sans, mais aussi des jours avec. Je sais travailler tout à fait normalement pendant bien longtemps. Mais un jour, sans que rien ne se produise, je fais n’importe quoi. Pourquoi ? Aucune idée, car il n’y a aucune raison. C’est tout à fait comme ma machine, elle allait bien hier, pourquoi irait elle mal aujourd’hui? Je ne vois aucune raison, elle non plus, pourtant elle me fera le prochain trou de travers ou arrachera carrément un morceau de feuille quand je la retirerai. Je suis tout à fait comme elle.
Cela ne dure jamais bien longtemps, mais tout de même assez pour que j’en rigole, que cela m’énerve et que je finisse par me poser des questions quant à mon état physique et émotionnel du moment. Est-ce que tout va vraiment bien ? Non, forcément, enfin ça n’a rien à voir avec le travail, cela ne doit pas entrer en ligne de compte. Donc, disons que tout va bien, donc aucune raison de faire n’importe quoi.
Afin d’essayer de faire passer l’état dans lequel je suis (je dis bien “essayer” car je n’y arrive pas toujours), je sors prendre l’air quelques instants, je me plonge dans un autre dossier ou parle à un collègue. Et ça a l’air d’aller mieux, mais une fois que je m’y remets, cela recommence. Et je n’ai pas trouvé d’autre solution (pour l’instant) qu’une bonne nuit de sommeil. Peut-être faudrait-il la même chose pour la perforatrice ?
Un temps de repos, aussi minime soit-il , est nécessaire et fait un bien fou. Qui a dit que le sommeil et le repos étaient surfaits ? Honnêtement, se laisser complètement abandonner à un temps de repos est la meilleure chose qui soit. On lâche totalement prise, on ne contrôle plus rien et on ne décide plus de rien, personne ne compte sur nous, nous ne sommes plus là. Tout cela, juste pendant un instant, 10 minutes, 1 heure, ½ journée. Les collègues sauront se passer de vous un moment, ne vous inquiétez surtout pas. De plus, ils seront surpris car vous reviendrez, plus motivé que jamais, à perforer ce paquet de feuilles qui attend patiemment, là où vous l’aviez laissé.
Laisser la perforatrice de côté plutôt que l’abandonner dans un tiroir du meuble de fournitures me paraît plus logique. Prendre le temps de faire une pause vaut mieux que de jeter l’éponge. Écoutez donc votre corps et laissez-vous un peu guider par lui. Si vous faites n’importe quoi, c’est qu’il y a en fait une raison cachée, encore méconnue mais bel et bien présente. Et si vous n’écoutez pas votre corps, il va vous détruire. Car la raison, au départ unique, va appeler ses copines, elles vont se regrouper et assiéger votre corps. Vous n’aurez plus le contrôle de votre propre corps, vous ne serez plus que l’ombre de vous-même. Le travail va s’accumuler, de plus en plus, de jours en jours, sans que vous ne puissiez rien faire. Alors, posez cette perforatrice, ne la rangez pas, faites une pause dans son utilisation, reprenez-la lorsqu’elle et vous serez prêts tous les deux. Une fois la goutte d’huile, le guide de perforation et le réservoir à confettis en place, vous êtes prêts à reprendre de plus belle ! Reposés, huilés et prêts à attaquer ! Et vous, dans quel état se trouve votre perforatrice ?